Stacks Image 46079
juillet 2024
978-2-84809-387-1
10,5 x 15
cm
119 pages

11 €
Lindsay Turner
Chansons & ballades

traduit de l'anglais (États-Unis)
par
Stéphane Bouquet
«Voici des poèmes pleins d’esprit, tantôt vifs tantôt mélancoliques, ne renonçant jamais à la fraîcheur. En déployant un lyrisme critique, en faisant chanter la pensée, Lindsay Turner a fait ce que peu de gens savent faire: “Mardi et je veux une image/de la condition écologique/cette pluie n’est simplement pas normale/mardi monte dans la voiture.” La poète lance des incantations qui évoquent et combattent une époque aux violences insidieuses – des ciels étranges, des bureaux laids, des jours fériés, un climat menaçant, de sombres pressentiments, une vie faite d’erreurs. Ses antennes frémissent dans cette atmosphère de désastre, ses poèmes se font les “gardiens de notre détresse collective.” Chansons, ballades, refrains, méditations fracturées: ces poèmes offrent une contre-mesure, un contre-chant à rebours du régime contemporain du tout calcul. L’océan, l’amour, la mesure d’une journée: n’est-ce là “rien à nos yeux”? “Ne servons-nous donc à rien”? Ces poèmes de la dépossession et du dessaisissement révèlent toute leur intelligence dans un jeu pince-sans-rire aussi subtil que sensible. Lindsay Turner soumet la forme poétique au travail et jeu sensuel du texte, au rythme de ses vers. “Qui tiendra et comptera ces pièces?/C’est quoi le job du quatrain mal taillé?”»

Maureen N. McLane

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« Séquelle #51 » : Lindsay Turner,
un lyrisme critique et inquiet
 
La poétesse américaine, en dialogue avec des formes traditionnelles, dit la dépossession du monde et plaide avec sensibilité pour une « néo-proximité » de l’homme et du monde.
Culture et savoir
 
5min Publié le 18 juillet 2024 Alain Nicolas
 
inconnu

 
Lindsay Turner allie classicisme et modernité.  © DR

 
En adoptant pour titre ces références à des formes familières, Lindsay Turner a peut-être voulu masquer la charge d’inquiétude et d’ambiguïté qui habite son recueil. Comme pour faire entrer de plain-pied le lecteur dans une poésie dont la structure de base, traditionnelle, faite de strophes, de vers comptés, de refrains, est mise au service d’un regard sur un monde où l’autrice comme le lecteur se sent de moins à sa place. Proposition paradoxale où l’appel au patrimoine aboutit à une immersion dans une modernité sans rivages.
Le monde de Lindsay Turner est un univers habituellement délaissé par la poésie. Elle le réinvestit en des poèmes aux titres significatifs : « Chanson des biens ménagers », « Chanson de la corrosion », « Chanson des villes », « Chanson de l’assurance » et cette « Chanson de la gestion des risques », où l’on peut lire
« donc nous avons commandé un rapport
sur les vivres et les pores de la ville
métaphore pour nourriture et peau
quand l’eau montera
électrifié les appartements splendides
les grottes aménagées, les hôtels étranges
les foyers possibles
avant que l’eau monte »
Ou encore cette « Chanson des bureaux »
« compte ça, compte ça, compte ça encore
compte ça une fois de plus
compte ça fort trois quatre trois quatre
compte ça en plus une fois de plus »

« compte ça mètre régulier
compte ça deux par deux
compte ça qui poursuivrais-tu
compte ça qui te poursuivrait
compte ça à tel taux de change
compte ça après que la nuit porte conseil
compte ça à nouveau au matin
compte ça une fois de plus »
Qu’on ne s’y trompe pas. Le « mètre régulier » de la ballade – une forme très codifiée — dont on voit l’influence dans ces textes n’implique pas une assimilation du poète à la recherche d’une régularité au comptable « simple compteur, compteur idiot, écumeur de petites pierres ». Le « petit caillou » avec quoi on faisait les opérations arithmétiques se dit en latin « calculus ». La métrique classique lointainement évoquée par un travail rigoureux de répétitions – parfois difficile à rendre en français malgré l’admirable travail de traduction de Stéphane Bouquet — donne de la précision à l’usage du vers et crée un envoûtant effet d’écho.
 
Elle appelle à mi-voix pour une « néo-proximité »
Le corps a sa part dans ces « Chansons et ballades ». S’il est légitime de les lire comme des « poèmes de la société », il serait réducteur de ne pas y voir l’homme ou la femme, au centre, tentant d’y trouver une place, d’y laisser jouer son corps, ses sens. La vue principalement. Les ciels y jouent un rôle primordial, « ciel rouge alerte/ciel rose refuge ». La couleur devient un enjeu « flaque d’eau jaune », « non-couleur de l’eau », quand « le soleil a son équivalent en couleurs artificielles », quand la « technologie » devient rivale de la nature :
« on attend impatiemment le plaisir visuel d’une vraie non-couleur qui, sans artifice nous redonne seulement le désir de la couleur plus vraie que l’artifice ».
Les poèmes de Lindsay Turner ne sont pas pour autant un manifeste passéiste pour un « retour à la nature ». Ils disent une inquiétude devant ce que les humains en font et le prix qu’ils doivent payer pour cela. Linsay Turner « veut une image de la condition écologique ». Elle appelle à mi-voix pour une « néo-proximité ».
On a pu qualifier la posture de la poétesse comme un « lyrisme critique ». C’est bien à l’autre que s’adresse en fin de compte ce questionnement, inquiet et confiant. C’est ce qui donne à la lecture de Lindsay Turner ce sentiment d’évidente complicité.
« Si je pouvais ne plus jamais dormir et avoir toujours soif
Me sauverais-tu
Si la petite lueur de l’océan s’était un jour enfuie
Je te sauverais »
Lindsay Turner est poète et traductrice (Ryoko Sekiguchi, Stéphane Bouquet, Anne Dufourmantelle, Liliane Giraudon entre autres). Elle a publié dans de nombreuses revues. Son premier recueil de poèmes, « Songs & Ballads », a paru en 2018 chez Prelude Books et son deuxième, « The Upstate », chez The University of Chicago Press en automne 2023. Elle a participé à Écrivains en Bord de mer en 2024, où des poèmes inédits ont fait l’objet d’un atelier de traduction animé par Olivier Brossard.
Chansons & ballades de Lindsay Turner, traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Bouquet édition bilingue. Joca Seria, 124 pages, 11 euros

Chansons & ballades Lindsay Turner
Par Adrien Meignan
La vie sans principe
 
 
Le titre du premier recueil de Lindsay Turner ne laisse pas de doute. Chansons & ballades s’inscrit bien dans une tradition lyrique. Cela dit, on ne peut plus aujourd’hui proposer le même lyrisme que celui marqué par l’autoritarisme et le mythe patriarcal. La poète américaine dévoile avec ce recueil des poèmes qui sont à la fois mélancoliques et lucides, cherchant toujours à produire une mélodie dans la construction des phrases. Elle déconstruit le discours attendu d’une telle poésie.
Lindsay Turner est aussi traductrice du français vers l’anglais. Elle a traduit Ryoko SekiguchiAnne DufourmantelleFrédéric NeyratAmandine André, mais aussi Stéphane Bouquet qui la traduit à son tour dans cette publication. Elle connaît parfaitement la poésie contemporaine et ses nombreux enjeux. Cela n’empêche pas Chansons & ballades d’être un recueil rempli de sensibilité et non une tentative académique. Lindsay Turner creuse avec ses poèmes un rapport au temps et à son environnement.
Si le lyrisme d’autrefois imposait sa vision du monde, celui que l’on retrouve dans ce recueil admet le caractère changeant de notre rapport au monde. Lindsay Turnercherche à exprimer par la poésie ce qui s’échappe et ce qui s’éloigne. Elle relate notre monde contemporain avec clairvoyance, ce qui peut parfois provoquer de la tristesse. Mais le but de sa poésie n’est pas égocentrique, mais mélodique. La poète propose une pensée chantante qui produit une attention plus forte chez le/la lecteurice.
Avant de me plonger dans Chansons & ballades, j’ai eu la chance d’entendre Lindsay Turner s’entretenir avec Olivier Brossard au festival Écrivains en bord de mer. Quand elle a lu ses poèmes dans sa langue natale, j’ai pu constater le caractère profondément mélodique de sa poésie. Je ne comprends que très peu l’anglais et les lectures de ce type me force à un détachement vis à vis du sens. Lire cette traduction qu’en propose Stéphane Bouquet me permet de donner corps à des sensations que j’ai pu avoir en écoutant Lindsay Turner.
 
Chansons & ballades
Lindsay Turner
traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Bouquet
Joca Seria